Un lapin traumatisé est arrivé à la maison
Mise à jour : 13/07/2017
Par catherine
Parce que vous vous êtes senti touché par le nombre de lapins abandonnés, vous avez décidé d'adopter en refuge plutôt que d'acheter en animalerie ou chez un éleveur. Ou peut-être l'avez-vous trouvé dans la rue, ce lapin apeuré, affamé, que vous avez recueilli chez vous.
Bien sûr, tous les lapins abandonnés ne sont pas traumatisés et la plupart font même preuve d'une capacité de résilience remarquable si l'on considère qu'ils viennent de traverser le choc de l'abandon, et pour certains parfois subir de mauvais traitements antérieurs.
Le plus généralement ces lapins recueillis retrouvent très vite leur équilibre et s'adaptent rapidement à leur nouvel environnement, prêts à nouer des liens avec leurs adoptants. Certains ont même bénéficié d'un séjour au sein d'une famille d'accueil, qui a permis, outre de prendre en charge leurs éventuels problèmes de santé et de les éduquer un minimum, de leur redonner confiance en l’humain.
Ou pas. Dans cet article, nous allons parler de ces lapins si profondément traumatisés qu'ils arrivent chez vous dans l'incapacité de s'ouvrir à une relation confiante et harmonieuse. Dont le comportement va poser suffisamment de problèmes pour que vous vous sentiez démuni et que, désemparé, vous en veniez à vous demander si en choisissant d'adopter un lapin abandonné et déjà adulte, vous avez fait le bon choix.
Oui, vous l'avez fait, c'est ce que je veux vous prouver. Et si ce n'est pas facile, croyez-moi, le résultat, la relation que vous allez construire avec ce lapin-là, sera précieuse au-delà de toute comparaison avec les efforts demandés.
Le voici donc chez vous, apeuré encore, méfiant de ce nouveau lieu, de ces personnes inconnues. Vous l'installez, confiant, vous, qu'il va se trouver bien et que tout va aller pour le mieux. Vous lui avez préparé un enclos, le temps qu'il s'habitue, qu'il se montre propre et qu'il noue ses premiers liens. Vous avez imaginé vos premiers contacts, la découverte mutuelle, les premiers câlins. Vous avez anticipé votre joie à voir s'épanouir le lapin abandonné à qui vous alliez donner un foyer. Vous êtes content : vous allez faire un heureux.
Puis petit à petit, vous déchantez ; il n'est pas heureux, pas du tout, il refuse vos tentatives d'approche, il se montre prostré, voire amorphe, ou au contraire, il attaque, vous considérant, vous et tout ce qui l'entoure, comme une menace permanente dont il lui faut se défendre. Et les jours qui passent n'apportent aucune amélioration.
Que faire ? Vous aviez pensé recueillir un lapin malheureux à aimer, et vous voilà face à un animal totalement inhibé ou au contraire agressif, qui essaie (et parfois réussit) à vous mordre lorsque vous l'approchez ne serait-ce que pour lui apporter des soins. Les deux cas ne sont d'ailleurs pas si dissemblables, car chacun a la même origine : la peur. On n'insistera jamais assez sur ce point. Si cela est suffisamment évident chez le lapin apeuré, il faut se défendre des interprétations hâtives et erronées face à un comportement violent: « Il est méchant, ce lapin, quel sale caractère ! » Non. Un lapin agressif n'est pas un lapin « méchant », c'est un lapin qui a peur. Peur au point de commencer par attaquer, façon de dire : « stop, toi tu ne me touches pas, je sais me défendre ! ». Il a peur de tout ce que vous pourriez faire. Le lapin terrifié dans son coin peut juste paraître plus facile d'approche, en ce sens que vous ne redoutez pas d'être mordu, mais le fond du problème est le même, et les réponses à y apporter aussi.
A ce stade, il faut que vous pensiez : patience. Je vous garantis que vous allez nouer avec votre lapin, avec ce lapin-là précisément, une relation riche et forte. Oui, cela va prendre du temps, peut-être quelques mois. Mais croyez-moi, cela en vaut vraiment la peine.
Tout cela je l'ai vécu, avec Nayaa, ma petite traumatisée, qui a passé ses premiers mois chez nous à agresser tout le monde. Trouvée dans un piteux état devant une fourrière, elle arrivait pourtant d'une famille d'accueil qui avait fait de son mieux pour la sociabiliser ; de fait, j'étais prévenue : c'était une lapine « difficile », cela se passait de mieux en mieux avec sa FA, mais enfin, il restait du chemin à faire... J'avais affirmé que cela ne me posait pas de problème, que j'aurais la patience ; c'était cette lapine-là que je voulais adopter, elle qui avait dû tellement souffrir pour être dans cet état. J'ai fait pas mal d'erreurs avec Nayaa (qui est en ce moment en train de s'amuser avec son copain sous mon bureau pendant que j'écris). Voyant qu'elle ne parvenait pas à nouer des liens avec les humains, j'ai voulu assez vite tenter une cohabitation avec mon mâle, un lapin paisible et équilibré, dont j'espérais que la présence pourrait la rassurer. Cela aurait pu être le cas. Mais non : elle l'agressa violemment, lui aussi, dès le départ et mon tort fut de m'obstiner, espérant toujours que ce serait la solution. Je mis beaucoup de temps aussi à discerner que l'un de ses traumatismes tenait à l'enfermement et qu'elle supportait très mal d'être en enclos. Tout cela est du passé aujourd’hui, et comme on apprend de ses erreurs, on peut également profiter de l’expérience tirée de celles des autres et gagner du temps.
On le sait, pour gagner du temps, il faut parfois en perdre. Parfois ne rien faire, que regarder. Ce lapin, inhibé ou agressif, il a avant tout besoin de sécurité et de douceur. Pour le lapin agressif, j'ajouterai qu'il est absolument primordial de ne répondre à l'agression que par la douceur. Si vous avez peur (oui, c’est tout à fait compréhensible !) mettez des gants, protégez-vous, mais restez calme et tranquille et prenez le temps d’être rasséréné pour l’aborder. Si vous le grondez, vous ne ferez qu'ajouter un motif à sa peur et le renforcer dans sa réaction, et entrer dans un cercle vicieux. Parlez-lui puisque vous ne pouvez pas le toucher : « tu sais, ce n'est pas la peine de mordre, ce n'est pas la peine d'avoir peur, ici personne ne te fera du mal. » Votre voix, votre présence discrète, mais tendre et attentive, vont peu à peu lui créer un univers rassurant, paisible. Prenez le temps d’identifier les éléments déclencheurs des angoisses de votre lapin : par exemple la façon dont vous pénétrez sur son territoire, un endroit précis où vous le caressez, un manque de nourriture, des bruits, odeurs, l’enfermement, une configuration particulière, un comportement précis de votre part, etc...
Pour l'aider à prendre ses repères, il est utile d'instaurer une routine, un rythme, afin qu'il puisse s'habituer petit à petit à vous, vos habitudes, votre entourage, vos occupations. Il a besoin de vous connaître, pour se rassurer. Occupez-vous régulièrement près de lui pour lui permettre de vous observer, à des choses tranquilles comme lire, téléphoner, à un ouvrage manuel, … pour qu’il s’habitue à vos mouvements corporels et à toutes les inflexions de votre voix.
Parlez-lui, beaucoup, même si vous êtes convaincu qu'il ne comprend rien à ce que vous racontez, cela n'a pas d'importance. Le message que vous voulez lui faire passer : « j'aime être avec toi, je voudrais que tu sois bien avec moi, tu comptes beaucoup pour moi », il va le recevoir. Racontez-lui votre journée, parlez-lui de lui « tu vas bien ? tu crois que tu vas te plaire ici ? On va tout faire pour, tu sais. » Pendant quelque temps, il faut juste laisser venir, observer. Accueillir toute tentative de contact, encourager les initiatives (à ce propos, il est souhaitable d'éloigner toutes les occasions de bêtises potentielles, le livre qui traîne, la plante ..., ce n'est pas le moment de devoir hausser le ton pour faire de l’éducation …). En fait, le lapin est en train de faire exactement pareil : il vous observe, il cherche à savoir qui vous êtes, s'il peut vous faire confiance.
Ne faites pas comme moi, ne vous obstinez pas sur une situation qui ne fonctionne pas, passez à autre chose. Au contraire, si vous repérez quelque chose qu'il apprécie visiblement, servez-vous en, utilisez tout ce qui se révèle positif. Le but est de multiplier les moments privilégiés. Pour Nayaa, ce furent les moments passés hors de son enclos. Elle semblait heureuse quand je l'amenais dans la petite pièce où je lis et fais de la musique. Elle se détendait là, tranquille avec moi. Aussi lorsque je renonçai pour un temps à mes tentatives de cohabitation, c'est là que je l'installai en liberté. Délivrée du stress de l'enfermement, rassurée sur mes intentions, elle progressait soudain très vite, elle s'épanouissait visiblement. En peu de temps, c'était elle qui cherchait le contact, et d'agression il n'était plus question.
Je reviens brièvement sur le cas de la cohabitation : en effet, comme moi vous avez peut-être adopté ce lapin dans l'idée d'une vie commune avec celui qui habite déjà chez vous. Deux situations peuvent se présenter. Ce lapin qui ne parvient pas à tisser des liens avec les humains va se trouver rassuré par un congénère, qui va l'aider par son comportement et sa présence à trouver sa place et son équilibre au sein du foyer. C'est souvent vrai pour les lapins très inhibés qu'un autre lapin pourra rassurer. Dans ce cas, il va nouer des relations d'abord avec le lapin, et ensuite avec sa famille humaine. Ou bien au contraire, il ne parvient pas non plus à communiquer avec un autre lapin, refuse tout contact, et va même percevoir ce futur compagnon comme une menace : c'est ce qui m'est arrivé avec Nayaa. Dans ce cas, il faut reporter la cohabitation à plus tard, et travailler d'abord avec le lapin traumatisé, jusqu'à ce qu'il se sente à l'aise, rassuré sur sa place à la maison et ne manifeste plus d'agressivité. Alors les rencontres pourront se faire dans la sérénité.
Au fond, c'est assez simple : entourer de douceur, sans se lasser, et attendre. C'est votre lapin qui va faire le plus difficile : surmonter le passé. Vous êtes là pour l'y aider. Et parce que vous êtes là, attentif à lui, à son bien-être, peu à peu vous allez le voir s'apaiser, se rassurer. De même que vous l'observez, il apprend aussi à vous connaître et petit à petit, il va prendre confiance, venir vers vous de plus en plus, se montrer intéressé par ce que vous faites, et puis commencer à participer à la vie de la maison, y faire sa place, s'y sentir bien. Il n'y a pas de secret, comme tout être vivant il avait simplement besoin de se sentir aimé.
Il va désormais pouvoir vous laisser découvrir sa propre personnalité, et dans la complicité qui se sera instaurée au fil des jours, vous tisserez une relation unique et profonde, privilégiée aussi puisque c'est vous qui l'aurez aidé à effacer le passé. Et voir un animal qui avait perdu – pour de bonnes raisons – toute confiance en l'humain, décider de vous accorder la sienne et de venir vers vous, c'est une joie rare. Lorsque Nayaa vient me chercher pour un câlin, ou simplement pour voir ce que je fais, je songe souvent à tout le chemin parcouru, à la petite bête effrayée et mordeuse, et combien il aurait été malheureux que ne se révèle jamais la belle lapine joyeuse, intelligente et câline qui y était prisonnière.